Alick était dans son bureau, dans l'aile ouest du quartier général de l'armée de Saturne, le bureau des recrutements. Il s'insurgeait devant les tests qu'on avait fait passer aux futures recrues. 10 % d'illettrisme. Il en était abattu. Comment ce faisait-il, que dans cette société moderne, où lire et écrire était capital pour survire, il y avait des enfants victimes de la misère, de l'ignorance ? Et que devenaient ces enfants des bas quartiers ? Alcoolique, pensant tenir le bon filon en s'inscrivant, faute de mieux, à l'armée, alors qu'ils ne connaissaient même pas l'alphabet. Ces enfants, ils étaient perdus, abandonné, relégués dans les bas-fonds de la société depuis leur naissance. Leurs parents ? Pas de parents. Frères, sœurs ? 'Connaissent pas. Proches ? Non, juste face à eux mêmes à chaque minutes de leur vie.
Alick connaissait ces gamins là; il avait été l'un des leurs, pendant une période sombre de son existence, qu'il se gardait d'évoquer. Personne n'avait retrouvé le meurtrier de Nello France et s'était très bien comme ça. On avait soupçonné le jeune fils de Mauricette DuValois, très fortement même, on avait même lancé des avis de recherches face à sa fuite. Personne n'avait pu retrouver George-Apollon DuValois, le jeune garçon rondouillard aux yeux bleus clairs et aux cheveux d'ébènes. On avait, bien sûr, souvent vu Alick Beaudelaire, dans des journaux par exemple, tout maigre et une impression de dureté et de tristesse dans ses yeux bleus clairs. Non, Alick et George-Apollon était deux personnes différentes. Et le dernier était porté disparu depuis des années...
-M. Beaudelaire ? L'interpella Wendy, s'asseyant face à lui, à même le bureau.
-Appelles-moi par mon prénom, Wendy...
-Alick ?
-Oui ? Répondit-il en levant les yeux de sa paperasse.
-Tu n'a pas l'air bien, ça va ?
-Oh, heu... Si, je vais bien...
-Pffff... T'as l'air tendu...
-Mh ? Oui, peut-être un peu...
-Ils te demandent au gouvernement. Enfin, la Reine te demande. Je crois que toute la machine politique à une faveur à te demander.
-Dis-leur que je ne ferais pas la guerre.
-Dis-leur en face ! Ils ne veulent rien entendre ! J'ai bien essayé de leur faire comprendre, mais...
-Ça ne marche pas, hein ? Ok, j'y vais.
Il se leva et vit que Wendy faisait de même, il l'arrêta et dit d'un ton catégorique :
-Seul.
Wendy devint sombre, tout à coup, depuis quelques mois, c'est à peine si il lui adressait la parole, alors aller à des réunions avec elle, encore moins. Pourquoi ? Qu'est-ce qui avait changé dans leur relation fusionnelle ? La vie de famille, certainement. Mais Wendy aurait tout sacrifié, pour être avec Alick, pour l'aider du mieux qu'elle pouvait... Mais pas lui. Lui, il aurait tout sacrifié pour garder sa famille intacte, unie, heureuse. Pour lui, la famille était une sorte d'entité indispensable dans la vie d'un homme, il ne pouvait pas faire sans. Pendant la période qu'il n'évoquait qu'à de rares moments intimes, il avait goûté à la solitude. Il pensait certainement ne plus jamais avoir affaire à ce démon, qui vous ronge de part en part et vous détruit, lentement, petit bout par petit bout, jusqu'à vous ôter toute trace d'humanité.
Quand il était arrivé à l'école de stratèges, ça avait été la redécouverte du foyer, toutes ces personnes prêtes à l'accueillir à bras ouverts, toujours là pour vous soutenir dans les moments difficiles, c'était ça, une vraie famille. Wendy avait aidé Alick à se reconstruire, peut-à-peu, à manger, parler, écrire, lire, exprimer ce qu'il
ressentait. Tout ce qu'il avait pu faire dans le passé c'était grâce à elle. Mais maintenant, même dans les coups durs de la vie, ils ne s'entraidaient plus. Comme si on avait coupé le lien qui créait une symbiose quasi-parfaite entre eux deux. Comme si une vitre les séparaient. Et qui était le responsable ? Le foyer d'Alick, très certainement. Wendy ressentait une certaine injustice. Elle, qui avait toujours été son aide précieuse, pourquoi ne bénéficiait-elle plus de cet amour ? Cet amour, qu'elle avait reçu pendant des années, et dont elle était privée. A chaque fois qu'elle pensait à tout l'amour que cette femme pouvait recevoir, elle enrageait. Tout cet amour, et qui sait qu'il pouvait être grand, pour elle seule ? Pourquoi ?
Alick embrassa Wendy sur la joue et s'en alla, sans un mot... Un baiser d'habitude, rien de plus. Wendy baissa les yeux. Une larme roula sur son visage pâle, il ne s'en apercevrait pas, il était déjà parti. La laissant dans la solitude, face à elle même.
Alick arriva dans la salle du trône, où la Reine de avait le recevoir. On l'annonça pendant qu'il s'inclinait respectueusement.
-Alick Beaudelaire, Ancien stratège de Saturne, venu à votre demande ma Reine.
Après cette annonce par le maître de cérémonie (pourquoi était-il là, celui-là ?) Alick se releva, et remarqua que le gouvernement était au complet. Tous, le regardaient d'un air conspirateur, et Alick ne pressentait rien de bon. Qu'avait-il fait cette fois-ci ? Pourquoi tout ce monde était-il ici ? Rien que pour lui...
« Stratège officiel » ces deux mots lui vinrent automatiquement à l'esprit. Ça ne pouvait être que ça. Mais pourquoi ne poursuivaient-il pas quelqu'un d'autre,à la fin ? Ils savaient pourtant très bien que rien, absolument rien ne lui ferait changer d'avis. Rien ? Vous êtes sûrs ? En fait, il n'y a qu'une seul chose qui pourrait le faire changer d'avis... Depuis la naissance de Nicolas et d'Iphigénie, presque à la fin de la guerre, donc, il avait trouvé ses convictions. Il ne fallait JAMAIS mettre un enfant à un poste important pour tout l'avenir d'une planète et de l'humanité. C'était un acte cruel, visant à projeter les enfants trop vite dans le vrai monde. Un monde ou la loi du plus fort et du plus influent règne.
-Alick ? Vous m'écoutez ?
-Pardon, ma Reine.
-Bien. Approchez-vous.
Alick fit dix pas, pas un de plus, s'avançant vers la Reine, remarquant pour la première fois, sur les côtés, la cour. Un amas de personnes bien nées, des amies de la Reine, bien habillées, bien coiffées, maquillées avec le plus grand soin. Toutes ces femmes étaient ici présentes pour admirer un seule et unique homme et il se tenait devant-elles droit. Droit, grand, élancé, les cheveux d'ébènes, le regard bleu et vif. La Reine leur avait longuement décrit cet homme qu'elle avait longtemps admiré, avant qu'il ne devienne un de ses invités préférés. Maintenant, sa présence dans la palais, tout le verre construit, était presque devenue habituelle. Mais depuis quelques temps, la Reine le regardait différemment, comme si la jalousie l'emportait quand il partait rejoindre sa femme, chez lui, dans leur nid douillet. Les femmes tournaient autour de lui, tel des rapaces, prêtes à fondre sur lui à la moindre occasion. Il avait pourtant toujours su les réfréner, donnant tout son amour à sa bien-aimée. Et ces femmes, toutes ces femmes autour de lui, pensaient la même chose : « celle qui a réussit à l'attraper à bien de la chance ».
-Nous sommes tous ici pour vous demander une chose, une seule.
-Faites donc, ma Reine.
-Vous savez que la guerre est imminente, que nous ne pouvons plus attendre. Tout les jours, le Centre nous menace de porter une attaque sur l'École de de Stratèges et nous sommes tous persuadés qu'il mettra ces menaces à exécution...
-Pardon ma Reine mais, vous ne croyez pas que si nous leur déclarons la guerre ils mettrons automatiquement leurs menaces à exécution ? Car ma Reine, si ils ont les moyens de faire sauter l'École, ils le feront, c'est dans la logique des choses.
-Bien, mais je veux vous demander une chose, si vous l'acceptez, nous pourrons sûrement limiter les dégâts... Voulez-vous reprendre votre poste de stratège ?
-Je croyais pourtant vous l'avoir dit quand j'ai démissionné, non ? Je ne reprendrais pour rien au monde ce poste ! Si c'était out ce que vous aviez à me proposer, au revoir !
Il avait débité tout cela d'un ton catégorique, à la limite du violent.
Il se retourna et commença à partir quand la Reine dit quelque chose qui l'arrêta soudainement :
-Bien, Monsieur Village n'a plus qu'à faire passer des test à ses petiots...
-Comment ?
Répondit Alick en se retournant, le regard furibond. C'était donc pour ça que la Reine s'était rapproché de lui ces derniers temps ? Pour découvrir son point faible et s'en servir contre lui. Pour obtenir de lui ce qu'elle voulait. Cette femme était cruelle, derrière son visage angélique...
-Qu'avez-vous dit ?
-J'ai insinué, que, si vous n'acceptiez pas ce poste, un enfant en prendrait la charge.
-Vous êtes un monstre, ma Reine. Vous ne vous êtes toujours pas rendue compte que, la jeunesse est l'avenir de ce pays, certainement pas le présent. Les enfants sont comme des oiseaux, il faut les aider à trouver leur chemin, les soutenir, enfin, les laisser s'envoler de leurs propres ailes. Les fruits cueillis avant qu'ils soient mûrs ne sont pas bons. Les enfants projetés trop tôt dans le monde des adultes ne sont pas prêts. Je sais de quoi je parle, le test pour devenir stratège évalue vos compétences de résistance, pas votre maturité. Je ne veux pas que quelqu'un d'autre vive les mêmes atrocités que moi, plus jamais.
-Bien, alors, vous n'accepterez quand même pas ce poste je présume… Qu'avez-vous à proposer d'autre ?
-Donnez-moi juste un mois. Je vais vous trouver quelqu'un pouvant me remplacer à ce poste. Voir quelqu'un de plus fort que moi.
-Accepté ! Mais à une seule condition.
-Quoi donc, ma Reine ?
-Je choisirait moi-même trois assistants aux stratèges, dans les troupes de l'École de Stratèges.
-Madame, ceci est impossible, on ne peut pas dissocier l'assistant du stratège auquel il est rattaché ! Ça serait briser une famille !
-Bien, alors vous voulez peut-être que je déclare cet accord comme non valable et qu'un enfant prennes le poste ?
Alick battit en retraite, il avait été piégé et il s'en était sorti du mieux qu'il pouvait. Il ne voyait pas d'autres solution que de céder aux exigences de la Reine.
-Dans ce cas, je capitule. Faites ce que vous voulez pour les assistants, moi, je m'occupe du Stratège. Sur ce, au revoir ma Reine. Oh, et puis, pour l'attaque de l'école de stratèges, je vous conseille de préparer vos élèves monsieur Village, enclenchez le dôme de protection et postez des sentinelles aux fenêtres et des tireurs d'élite dans la tour. Les élèves qui n'ont pas d'options militaires pourront s'abriter dans la section scientifique. Sur ce, je vous quitte.
A peine les portes de la salle d'audiences s'étaient refermées sur lui, qu'il couru pour sortir le plus vite possible de cette prison de verre. Il avait besoin de rentrer chez lui. De se détendre, décompresser. Ses mains tremblaient. Tout son esprit était ébranlé par ce qui venait de se passer. Il aurait pu mourir pour avoir refusé une offre de la Reine, mais il n'en était rien. Peut-être que devenir proche de la Reine avait eu du bon, finalement...
Alick composa le code de la porte de chez lui et entra. Aussitôt Raminagrobis (le gros chat roux faisant office d'aspirateur, serpillière, lave-linge, lave-vaisselle, réveil, alarme et pleins d'autres choses encore...) vint à sa rencontre. Alick trouvait bizarre que Di ne soit pas ici. A quelques jours de la date prévue pour la venue au monde de leur troisième enfant, Judicaël, elle ne sortait presque plus. Alick vérifia dans toutes les pièces, le gros chat sur ses talons, mais elle n'y était pas. Il revint dans le salon, voir si elle ne lui avait pas laissé un mot sur la table basse devant la télé, mais non, toujours rien. Soudain le téléphone sonna, Alick se précipita pour répondre :
-Allô ? Qui est-ce ?
-Bonjour, j'suis bien chez Alick Beaudelaire ?
-Oui, c'est moi... Qui est-ce ?
-Hôpital Engländer. Vot' femme...
-Qu'est-il arrivé à ma femme ?!
-Bah... Elle a dit aux médecins d'pas vous déranger dans vot' travail et de ne vous appeler qu'à ct'heure-ci... Vu qu'elle a insisté et qu'elle nous tous fait promet' bah...
-Et donc...
-Et donc vous êt' popa, vous pouvez v'nir voir le rejeton tout de suite s'vous voulez...
-J'arrive ! Oh mon dieu ! C'est magnifique ! Merci beaucoup madame !
-De rien, c'est mon job...
Alick raccrocha, un sourire de huit pieds de longs sur le visage. Ça n'avait pas té pareil du tout pour ses premiers enfants, il avait été complètement stressé, jusqu'au moment où il les avaient vu, les deux petits nourrissons, ils les avaient tout de suite aimés. Pendant la grossesse il ne s'était pas du tout pris d'affection pour eux, pourtant, mais ne dit-on pas que c'est quand un homme voit son enfant qu'il devient père ? Il sortit de la maison en trombe, ne pris même pas la peine de refermer la porte derrière lui, ni de prendre le vaisseau, ni rien de tout ça. Il était juste heureux juste heureux, ne pensant pas à autre chose que de
combler le petit d'amour, et allait courir le plus vite possible pour découvrir le petit bout de chou !
Arrivé à l'Hôpital Engländer (oui oui, Nello Engländer l'a fondé il y a bien longtemps...), il se présenta à la réception, toujours le même
sourire enchanteur sur le visage :
-Bonjour, dans qu'elle chambre se trouve Mme Beaudelaire ?
-Oh ! Vous êtes donc le père du bébé qui vient d'arriver ? Il est super-trognon, félicitation ! Hum, je reprends, chambre 238 monsieur, au troisième étage !
-Merci beaucoup !
Répondit Alick en prenant un bonbon dans la boite sur le comptoir de la réception. Il entra dans l'ascenseur où un jeune couple avait déjà pris place. Direction le troisième étage ! Alick ne savait pas encore que le jeune homme aux cheveux châtains allait être celui qu'il choisirait pour être Stratège officiel. Vite, il sortit de l'ascenseur et essaya de trouver le plus rapidement possible la chambre 238, qui passait un peu inaperçue car personne ne remarquait la dernière porte du couloir... Il ne la remarqua que parce que deux médecins en sortaient. Il reconnu l'un deux comme Damian Valamir, avec un casque sur les oreilles. Il n'avait décidément pas beaucoup changé de puis l'époque de l'EdS, toujours aussi accro à la musique.
-Pourquoi t'es là en fait ?
-Pour voir mon nouvel enfant !
-Hein ? C'est le tien ? C'est vrai ?
-Bah, oui c'est vrai... Pourquoi ?
-Il est magnifique, mais tu vas voir par toi même, ne fais pas trop de bruits, ta femme est vraiment fatiguée...
-Ok, merci vieux ! Tu passera à la maison un de ces jours ?
-Yep ! Sans problèmes !
Sur ce, il poussa précautionneusement la porte de la chambre 238 et entra et laissa, enfin, exploser sa joie :
-Di ! C'est magnifique ! Il est magnifique ! Je t'aimes, je vous aimes !
Merci mon Dieu !